Transatlantique

Départ

On largue les amarres, et on quitte la marina San Miguel. Le vent souffle assez fort, les vagues nous attendent dès la sortie de la digue, et ces bons alizés qu’on attendais pour partir sont établis. C’est la fenêtre météo, et je sais que si l’on veut une chance de passer le nouvel an à terre de l’autre côté, il ne faut plus attendre. Mais y aller avec prudence : on annonce de la houle de 3-4 mètres et un vent à plus de 30 nœuds pour la première semaine, avant de mollir doucement. Il faudra que tout le monde tienne le coup.

La Transat, j’y ai souvent pensé, mais c’est sur le départ que les images viennent se mettre sur les mots. Ici, maintenant : le majestueux Teide qui nous surplombe et sur lequel on ne peut s’empêcher de se retourner au fur à mesure que la terre s’éloigne, la mer forte d’un bleu sombre avec des crêtes blanchies, le vent qui nous balaye les cheveux et le bateau qui marche fort et part au surf sur la houle. Un dernier petit coup de fil d’Arnaud alors que nous sommes déjà à quelques miles de côtes, il nous souhaite bon vent. Fini d’en parler, on y est, l’Atlantique nous montre son vrai visage. Et force est de constater que ça fait quelque chose quand même. L’émotion est palpable dans l’équipage, et moi aussi je ressens ce mélange d’excitation et d’admiration. Putain, c’est grand un océan ! Et nous si petits !

départ sous l'arc en ciel

Un arc-en-ciel en forme de porte de l’Atlantique

Première semaine

Les premiers jours se font sur un vent soutenu de NE à 6-7 Beaufort. L’inconvénient est que nous sommes plein vent arrière, car si cette allure portante nous fait avancer dans la bonne direction, elle a le défaut de ne pas être très rapide. Passe encore, avec ce vent, mais la grand-voile dévente constamment le foc qui se situe juste derrière, et celui-ci bat inutilement. Je décide donc un réglage au grand largue, ce qui nous fait tirer de longs bords. L’empannage éventuel se fait à la relève du quart, avec deux équipiers, ou tous les 2 ou 3 quarts.

Nous avons opté pour des quarts de 3 heures, ce qui signifie que pour boucler une journée, chacun fait 2 quarts : un le matin, un l’après-midi. Pendant le quart, on veille à la bonne marche du bateau, et on effectue une surveillance de la météo et de bateaux en collision potentielle. Gaétan aura celui de 5-8h, Lorraine de 8-11h, Silviya de 11-14h, et moi de 14-17h. Ce qui signifie que la suite de la journée repart de même, avec 17-20h Gaétan, 20-23h Lorraine, 23h-2h Silviya, et un bon petit quart nocture pour moi de 2h-5h : il faut assumer d’être le capitaine. Mais le tout est assez juste, car nous avons décidé que l’horloge de bord restera sur le temps universel (UTC), qui se  trouvait aussi être l’heure des Canaries. Ainsi, les 4 fuseaux que nous devons traverser décaleront les heures de nuit et les quarts associés. Pour les manœuvres qui nécessitent d’être deux, la règle choisie est d’aller réveiller celui qui vient de se coucher, qui ne dort peut-être pas encore, sauf sur la fin du quart. On prévoit un petit rodage, et on se relaie au début pour faire ses quarts avec Lorraine, le temps qu’elle aie ses repères.

Toutes les 24h après l’heure du départ, je fais le point sur l’avancée. C’est l’occasion de mesurer le nombre de milles parcourus pour rythmer les journées. Ces premiers jours se font sur un tempo assez soutenu malgré les 3 ris que nous avons presque tout le temps : 157, 178, 172… milles nautiques. En journée, on porte un peu plus de toile pour gagner en vitesse. Le soir, pour réduire le bruit dans le bateau et pour effectuer des quarts plus tranquilles, on réduit un peu. A une ou deux reprises, par des nuits agitées, on passera sous génois seul. Notre vitesse moyenne est raisonnable, mais composée de surfs dans lesquels le bateau poussé par la houle atteint les 14-15 nœuds, avant de ralentir en se faisant happer par la vague à venir.

navigation carte sextant

Navigation astronomique et point sur la carte

A l’intérieur, ça remue pas mal, bien que de manière régulière et ordonnée. Silviya subit un peu le mal de mer, malgré l’expérience de la traversée des Canaries qui s’était bien passée… mais continue à assurer ses quarts vaillamment. Pour les autres ça va, et on prend même le temps de bien faire la cuisine. On a fait des courses bien pensées, et on a des produits frais qui tiendrons quasiment jusqu’au bout. Il faut simplement bien faire son choix : oignons, carottes, chou, pommes, oranges, clémentines, pamplemousse… tiennent parfaitement le coup sur la durée dans un lieu aéré. Et pas besoin de les mettre au frigo ; celui-ci marche bien, et nous pouvons conserver viande, poisson (frais au début, puis fumés), et produits laitiers sans problème. L’alimentation est clef pour un voyage réussi et pour que l’équipage tienne la route. Les petits grignotages aussi, pour la nuit ou le temps dur : l’équipage à voté pour des ramens, on en a un gros carton au bon gout de umami !

La fin de la première semaine est marquée par quelques orages, parfois de nuit. Le vent forcit quelques minutes à l’approche du grain, puis le nuage passe en apportant de la pluie, une accalmie temporaire et parfois quelques éclairs. Enfin, le vent reprend petit à petit sa force initiale. Sous ces grains, la mer semble parfois s’adoucir sous l’effet des gouttes : un petit calme au milieu du grand océan. En plein jour, la lumière est également tamisée et l’on se retrouve plongé dans une grande bulle de gris de toute beauté.

Deuxième semaine

Les orages semblent s’éloigner, et le vent à baissé vers les 20 nœuds. Nous pouvons remettre tout la toile, et apprécier un calme relatif avec une houle qui descends à 2-3 mètres. La température de l’eau et de l’air monte doucement, et on remets au placard les équipements les plus chaud. Ces belles journées sont saluées par le passage de baleines ! Quelle chance de découvrir ici ces beaux mammifères dans leur élément. Nous les voyons arriver derrière le bateau, longues silhouettes noires glissant dans la houle, puis s’approchant et pointant leurs ailerons. Peu timides, elles s’approchent jusqu’à passer près de nous, et carrément sous les coques ! Leur taille de 7-8 mètres, la forme ronde de leur aileron, leur absence de timidité et la petite marque distinctive blanche sur leurs nageoires latérales nous permettent de les identifier comme des baleines de Minke. Elles passent plusieurs fois par jour, par petits groupes, et nous aurons la chance de les voir tous les jours pendant plus d’une semaine !

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 Une baleine de Minke à 5 mètres du bateau

A bord, il y a toujours à faire, au point que je n’ai toujours pas trouvé le temps d’ouvrir un livre dans la longue liste que j’ai emmenée. La version offline de Wikipedia apportée par Gaétan ne cesse de nous en apprendre sur la mer et milles sujets de conversations que nous avons. On se forme aussi à la navigation astronomique : elle demande un peu de pratique et d’implication pour tirer des positions du sextant, mais c’est quand même l’outil qui a fait naviguer tous les marins du monde depuis des décennies. Je trace des droites de hauteur avec Gaétan, et lui se lance dans les plus complexes calculs de méridienne avec succès, puisqu’il réussit à nous positionner exactement aux mêmes coordonnées que celles obtenues du GPS.

WahooLa pêche est en revanche bien difficile, malgré une bonite prise dès le début par Gaétan : la vitesse du bateau est excessive dans les surfs, et dès qu’un poisson mord, le choc est trop violent et arrache les lignes pourtant prévues pour la pêche au gros. Mais je crois qu’en Atlantique, le gros est encore plus gros !! Ces espèces ont des dents puissantes, et sectionnent les bas de ligne montée dans le plus gros nylon (1mm). A court d’appâts, je me lance dans la fabrication maison de petits poulpes blancs et rouges en matériaux de récup. En doublant les bas de lignes, et en réagissant vite pour ralentir le bateau, je finis par remonter un Barracuda tout fin mais d’un bon mètre, puis un superbe et excellent Thazard (communément appelé Wahoo dans les îles) d’un mètre et de plus de 5kg. Celui-ci est vraiment puissant, il aura fallu se battre ! On dit qu’ils nagent à plus de 60km/h. Wikipedia m’est aussi bien utile pour identifier ces poissons que je ne connais pas encore bien, et c’est avec autant de curiosité pour la découverte de ces espèces que d’intérêt pour le dîner que je remonte les lignes. Car si les baleines et dauphins se montrent, il y a tellement d’espèces qui se cachent sous les eaux…

poisson volant

Poisson volant en action

A part eux, nous ne rencontrons pas beaucoup de forme de vie humaine, seulement 3 cargos qui passent au loin, et que nous contactons par VHF. Généralement contents de discuter, nous leurs souhaitons de joyeuses fêtes et récupérons des infos sur la météo, qui reste stable. En effet, nous n’avons pas de téléphone satellite à bord, et la radio BLU (longue portée) ne reçoit pas grand chose et aucune chaîne émettant de la météo. Ces derniers temps, nous utilisons beaucoup le spi, qui nous permet une bonne vitesse par ce vent régulier, et nous évite de tirer des bords : cap direct !

24 décembre ! C’est Noël. On pense tous à la famille et aux amis. On est si loin, presque en plein milieu de l’atlantique. Petit atelier cadeaux à bord, et même si les vagues n’ont pas pris le jour férié, on prépare un bon dîner : Toast de foie gras et saumon fumé accompagnés d’un excellent Tokay hongrois, confit de canard et petites patates sautés. Et même la visite d’un étrange père noël. Un bon moment !

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Photo pour un Noël pas comme les autres

Les derniers jours passent tranquillement : la chaleur est là, l’eau change doucement de couleur, les quarts ont glissé de quelques heures avec le décalage prévu. Un petit coup de vent fera malheureusement lâcher les coutures du haut du spi, mais nous sommes presque arrivés, et ça pourra se réparer. Finalement, nous approchons de Tobago, et comme l’estimation nous prévoit une arrivée de nuit, nous ralentissons un peu pour faire un atterrissage de jour, plus agréable et plus sûr, car il n’y a presque pas de marquage lumineux ni de phares dans les caraïbes.

Terre en vue

Terre ! Terre ! Tobago apparait dans le petit matin

Terre en vue ! Personne ne dort vraiment pour ces derniers quarts, et la côte de Tobago se dessine dans la pâleur de l’aube. Nous sommes très heureux d’arriver ce matin du 31 décembre : nous allons fêter le nouvel an dans les îles, mission accomplie ! A 7h30 locales, nous posons l’ancre dans le port de Scarborough pour faire les formalités de douane. Nous aurons parcouru 2779 milles, soit près de 5200 kilomètres, en 17 jours et 13 heures !

08 - arrivée Tobago

Arrivée à Scarborough, ci-dessus,
puis mouillage pour le nouvel an à Store Bay, ci-dessous

09 - Tobago Crown point

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