Tobago

Débarquement à la capitale

L’arrivée à Tobago, c’est un vrai atterrissage sur une autre planète. Le port de Scarborough, pour commencer, n’est qu’une vieille jetée qui accueille le ferry de Trinidad et ses passagers. L’emplacement destiné aux pécheurs et voiliers est vide, et assez exigu, nous sommes les seuls à y venir. Pour laisser la place au ferry qui arrive tout juste, on doit s’y reprendre à plusieurs fois pour le mouillage et c’est assez pénible comme premier contact. Une fois en place, le débarquement se fait sur un petit quai délabré, et le spectacle commence.

Ce retour à la terre commence déjà par toutes ces odeurs, des forêts tropicales voisines, et de la ville. On n’y pense pas naturellement, mais il n’y a pas d’odeurs en mer, ou seule celle de l’air iodé. Puis c’est le son qui nous arrive en marchant du port vers la ville, et quel son ! On le découvre vite, à Tobago, la musique c’est une célébration permanente. Par chaque fenêtre ouverte, de chaque voiture, de tous les postes survitaminés des vendeurs de CD s’échappent du gros, gros son aux couleurs locales : reaggae, ska, jungle, et les célèbres Steel pan dont les groupes de Trinidad ont aquis une réputation mondiale. Après 3 semaines en mer dans le silence et le calme, c’est carrément le choc frontal ! Mais c’est magique.

Reste à ouvrir les yeux, et Scarborough est une ville très active. Capitale de l’île, elle fourmille d’activité. On se fait dépasser par quelques pickup américains XXL aux couleurs flash et aux jantes démesurées dont les chromes rutilants renvoient puisement les rayons de soleil. Le ton est donné, ici on aime le bling bling et la cutlure américaine est très présente. Les nanas aussi “envoient du lourd”, avec l’option tailleur chic et ombrelle ou carrément minijupe et top moulant fluos sur des formes pour le moins généreuses.

Passage à la douane et l’immigration, ou je fais connaissance d’un couple Canadien venu faire ses formalités de départ. Ils m’expliquent que tous les « voileux » sont dans le mouillage de l’Ouest, Crown point. On est visiblement les seuls à avoir eu l’idée de venir au port… en bateau ? Après une heure d’attente pour que Madame l’officier soit arrivée au bureau, à regarder la secrétaire lire le journal, regarder la rue, faire voir son gun sur le bureau et appeler ses copines avec un accent mi-américain mi-créole simplement hallucinant et caricatural, commence le remplissage des formulaires. Papier carbone pour faire les duplicatas, pour la première d’une des nombreuses clearance qu’il faudra faire dans ces îles. On ne soupçonne pas le bonheur de naviguer sans frontière en Europe.

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La rue principale de Scarborough

Sortie du bureau utra-climatisé pour aller retirer des « TT dollars » (titis) et faire quelques courses de frais. Ici le supermarché typique c’est une autre ambiance. Une petite porte de maison, une petite pièce ou l’on trouve les produits a même le sol ou sur quelques étagères dépareillées. Les produits frais sont tous en vrac dans un frigo qui ressemble à celui de votre cuisine, en vieux et moche, et tous les surgelés sans étiquettes sont déversés dans un congélo vertical sans vitre transparente. On s’y fait très bien, mais le métropolitain qui débarque avec ses opinions sur la chaine du froid et l’hygiène alimentaire risque fort de ressortir du magasin avec les mains vide. Et aussi perplexe que quand je fais le tour d’une station-service d’autoroute en étant résolu à ne pas acheter de junk-food ! On trouve néanmoins notre bonheur dans le supermarché un peu plus grand du centre-ville, et on complète ca par un passage au joli petit marché, plein de fruits exotiques et d’odeurs d’épices. Ça c’est magique !

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Pas de steaks hachés, mais tout va bien, il y a du poisson volant surgelé !

On se cherche une carte SIM afin d’avoir une petite connexion internet, mais malgré les nombreux magasins digicel, aucun ne peut nous fournir le sésame. Dans l’un c’est la panne d’électricité, dans le second il n’ont plus de cartes (ils vendent quoi alors ?), retour au 1er qui a l’électricité maintenant, mais qui ferme plus tôt… a cause de la panne de courant. OK… vu la chaleur écrasante, on fera ça un autre jour.

Le dépaysement est total pour mes équipiers, et moi, je retrouve quelques-unes de ces sensations de mon voyage aux Antilles avec mon grand-père, il y a presque 20 ans. La folie du 31 décembre et des préparatifs de la fête en rajoutent surement encore un peu.

Crown Point

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Le mouillage de Crown Point. Juste a côté la houle déferle sur les récifs.

A peine les courses faites, on se décide à partir à l’Ouest, ou l’on retrouve une bonne dizaine de bateaux au mouillage devant une plage absolument paradisiaque. Pas de doute, c’est ca qu’il nous fallait, c’est aussi pour ca qu’on est là. Le mouillage est bien protégé, et le plaisir du bateau immobile et de la fin de la navigation nous gagne. On aurait envie de fermer les yeux et de laisser la fatigue de ces jours de mer disparaître… mais c’est aujourd’hui le 31 ! Pas question de dormir, on est arrivé juste a temps, et il va bien falloir qu’on fête ca : le nouvel an et notre arrivée en même temps.

Alors on débarque sur la plage, un peu acrobatiquement car il y a des rouleaux au bord. Gaétan nous offre le show pyrotechnique en tirant les vieilles fusées de détresse depuis la plage. Ca y est, on est à terre !  On part se balader dans le coin et rencontre tout de suite des gens dans l’ambiance festive du moment. Deux françaises et un Turc qui étudient à Trinidad et qui sont venus, comme beaucoup de locaux, passer un long week-end de vacances sur la plus petite des deux îles. On sympathise tout de suite et passe la soirée avec eux. Le diner du réveillon sera un délicieux Kebab local au chou et au mouton grillé, à l’arrache, avant d’attaquer pour une soirée « Bonne Année !! » au son du DJ sous un grand kiosque en bois entouré de végétation. Puis c’est le concert de reaggae qui dura tard dans la nuit… Trop tard pour moi, le quart de nuit de ce matin me rattrape… je m’endors dans un coin sur les paroles de paix du grand et gros barbu et des guitares. « We love all the people from Tobago, you are wonderful… »

Au matin, c’est le premier d’une longue série de réveils sur une mer d’un bleu exquis, dégradant vers le blanc de la plage et la verdure des cocotiers. La plage et la balade vers « Pigeon point » sont superbe. C’est en marchant sur ce sable fin dans le coucher du soleil qu’on sent pour de vrai qu’on est complètement ailleurs.

Les mouillages de l’île

Après quelques jours de repos, on commence la découverte de l’île, et des mouillages de toute la partie Nord. Une première évidence s’impose : il n’y a quasiment pas de navigateurs sur Tobago. Nous ne rencontrerons au total qu’une vingtaine de voiliers en ayant fait tout le tour de l’île. Trop au Sud des Caraibes, un peu trop loin comme point d’arrivée de la transat, trop à l’Est de la route de Trinidad à Grenade… seuls quelques voiliers viennent sur cette île totalement dépourvue d’installations pour la plaisance.

Et encore plus sur ces mouillages du Nord, parfois un peu rouleurs, parfois un peu durs d’accès à cause de chemins non balisés entre des récifs ou les vagues déferlent. Mais une fois sur place, quels petits paradis.

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En longeant la côte Nord

Bucoo Bay : Quelques milles vite parcourus au moteur, en slalomant entre les récifs, et on découvre un petit village de pécheur où l’on dine de bons petits plats de coco épicés. A noter, l’invraisemblable (mais vrai) « plus beau stade de course de chèvre du monde ». Ok. Des courses de chèvres… On ne verra pas les chèvres, mais de superbes chevaux qui passent sur la plage en mettant les pieds dans l’eau.

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Plymouth : nous partons vers Mount Ivrin Bay, mais la baie roule trop, même sur un cata. On poursuit donc vers Plymouth, où l’on met une seconde ancre à l’arrière pour être face aux vagues. C’est une grande plage sauvage, ou seuls quelques petits bungalows d’un «resort » sont installés derrière les palmiers. Les gars du coin sont sympa et viennent discuter, ils nous donnent même le mot de passe du wifi pour passer un petit coup de Skype à la famille. Au nord de la plage, un petit village où l’on fait quelques courses et où l’on visite les ruines de Fort James, témoignage des nombreuses batailles sur l’île entre suédois, anglais et français. De majestueux pélicans chassent près de la jetée, harcelés par des mouettes qui tentent de leur voler les poissons aussitôt pris. Un spectacle captivant qui dure tout la journée.

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Englishman’s bay : on continue nos sauts de puce sur la côte en faisant quelques bords de près sur une dizaine de milles. La plage ici est mélangée à la luxuriante forêt primaire, la « rainforest » comme ils disent ici, c’est époustouflant.

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Charlotteville la tranquille

Notre dernière escale sur la côte est le petit village de Charlotteville, d’où Lorraine repart pour aller prendre un avion vers la Colombie. « Man of war Bay », une grande baie ouverte au Nord-Ouest offre une bonne protection des vents et houles, et le roulis est ici très acceptable. On retrouve une petite dizaine de bateaux au mouillage, qui forment une petite communauté. On discute avec tout le monde en passant en zodiac ou en accostant au quai. La plupart sont aussi arrivés ici de la transat, et sont là depuis Noël. La ville est un tel havre de paix qu’ils n’ont même pas bougé ni fait le tour de l’île. Simplement du repos le jour, et des soirées dans les 2-3 minuscules bars de plage, ou les îliens célèbrent leur amour pour la musique et la danse. Ici, le temps s’arrête un peu, et nous aussi nous passerons une bonne semaine sur place.

Tous les locaux que nous croisons sont incroyablement chaleureux. C’est dans la culture d’engager la discussion, et pas pour le business, ni pour vendre. C’est sans arrières pensées, les gens s’intéressent simplement à la vie de ceux qu’ils croisent, et que vous soyez leur voisin, un autre habitant, ou juste de passage, ils montrent le même intérêt. Peut-être aussi que dans ces petits villages, un peu de nouveauté fait du bien. Même si au début on peut trouver les gens un peu collants, c’est une sensation très agréable, et on prend vite l’habitude de « limer », c’est-à-dire de papoter un petit peu à chaque fois que l’on rencontre quelqu’un. Par contre, pour les gens pressés ce n’est pas l’idéal, car en faisant vos courses aussi il faut d’abord prendre le temps. Le premier réflexe du parisien aux journées bien chargées, c’est plutôt de s’impatienter et surtout de s’enfuir quand il se fait aborder dans la rue par un mec au style de rasta et aux yeux un peu rouges. Ici, ce type au look un peu différent c’est celui qui va vous donner tous les bon plans, pleins de conseils, et avec qui vous partagerez un barbecue de poissons et des bières quelques jours plus tard.

On se mets au rythme local : balade dans la forêt sauvage sur des petits chemins perdus, et défi relevé d’attraper les noix de coco d’un arbre d’une bonne quinzaine de mètres. On fabrique un lasso de corde accrochée sur un immense bambou découpé avec le précieux couteau multifonctions de Gaétan, qui nous dépanne plus d’une fois. Et aussi quelques expéditions pour aller snorkeler sur des rochers dans la baie, mais la visibilité n’est pas excellente.

On compensera ça en essayant de pécher à la traine puis, au harpon, avec du succès. Ca nous donnera l’occasion d’aller discuter avec les pécheurs de la faune de la baie et de partager notre bonne pêche. La pêche est ici l’une des principales activités, les pécheurs sortent tous les jours trainer des lignes dans la baie, et poser des casiers. Un matin ou je suis levé très tôt et ou je répare une ligne, un pécheur accoste avec sa barque et me propose de l’aider à relever ses casiers. Ici, les gens sont très directs et demander un service se fait sans politesse : « comme with me get my traps, just 15 minutes ! » me dit-il sans détours. Ma ligne est prête, et ca m’intéresse de voir sa pêche, alors je l’accompagne en la traînant de son bateau. On relève deux énormes casiers sous ses ordres autoritaires, ils contiennent 7-8 gros « lobsters » (les homards caribéens sont plus proches des langoustes). De retour au bateau (1 bonne heure plus tard), il me laisse deux d’entre eux pour un petit billet. C’était un bon moment.

Il faut dire que la vie est peu chère a Tobago. Les supermarchés sont peu fournis mais les prix sont bas pour les produits de base, les fruits et légumes. Le pays produit beaucoup de pétrole et de gaz comme le Vénézuela tout proche, et l’économie est assez sponsorisée. A la pompe, le litre de gasoil se vend… 0,15€ ! Dire que je trouvais raisonnables les 1€ du litre aux Canaries en faisant le plein pour la traversée.  C’est l’occasion de remplir quelques jerricans, mais nous n’avons presque rien utilisé depuis.

Le reste du temps, on apprécie les petits bars et restaurants du coin. Sharon & Phoebe’s nous servent le classique poulet aux légumes et au riz, le plat incontournable. Et quelques petits chicken’s burger au bar de la plage, ou le chef met simplement une aile de poulet entière entre deux morceaux de pain, avec un peu de chou en sauce. Des barbecues de charité au profit d’organisations locales sont aussi organisés. On y retrouve des gens du villages, mais aussi nos voisins de mouillage, et on fait la fête avec eux. Presque tous sont des pays nordiques : des norvégiens, des suédois, des danois. Ils sont presque tous jeunes, entre 21 et 25 ans, et profitent de l’année sabbatique sponsorisée par l’état pour tous les jeunes pour aller découvrir le monde (en tout cas pour les norvégiens). On sympathisera notamment avec l’équipage du Havana, ou 4 mecs et 3 filles qui bossent dans le cinéma ont commencé un tour du monde (par le Venezuela, la Colombie et Panama) qu’ils filment en documentaire pout la TV danoise.

Nos quelques bricolages d’après transat sont finis, et nous sommes prêts à partir pour Grenade. On quitte avec émotion cette île passionnante le 13 janvier avant le lever du soleil. On doit retrouver Astrid et Olivier qui viennent d’arriver à Grenade après de multiples correspondances et petits avions. Les trajets dans les îles sans bateau, ce n’est pas simple.

Les clerances non plus. En théorie, on aurait du faire une clearance de sortie du sud de l’île à Scarborough, et une clearance d’entrée au Nord à Charlotteville avant de redemander la sortie… mais on a préféré ne rien faire. Ah les contraintes ! On joue les touristes qui n’ont rien compris avec le sourire, et la jeune officier des douanes accepte de nous faire la clearance de sortie quand même. Tout va bien.

DSC_0225Havana quitte Charlotteville quelques jours avant nous

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