Gibraltar et traversée vers les Canaries

Gibraltar

Gibraltar est le royaume de l’improbable.  J’en avais entendu parler, mais j’en savais tout de même assez peu : un territoire de sa majesté au point le plus sud de l’Europe continentale, vaguement contesté par des Espagnols qui possèdent eux aussi des enclaves sur la côte nord du Maroc. Un brin paradoxal.

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C’est d’abord une impression singulière d’arriver face à un poste frontière au look de rideau de fer dans cette Europe si libre d’accès, puis de devoir traverser une piste de décollage équipée d’un passage à niveau pour entrer dans la ville, qui faute de place, ne laisse aucun espace inutilisé et aligne ses grands buildings au pied du rocher. Les célèbres singes de Gibraltar bénéficient d’une réserve naturelle verte et protégée au sommet, alors que les habitants travaillent dans l’odeur et la suie des dizaines de pétroliers qui marchandent leur or noir a prix détaxé dans la baie, et que les enfants s’entrainent dans le stade de foot du bord de la piste, dans les vapeurs de kérosène.

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On passe l’ancienne porte munie d’un pont levis,  puis l’on s’enfonce dans la vieille ville, voir quelques singes descendus vers la grisaille reconstituée d’un quartier British dans la chaleur du sud de l’Espagne. En arrivant sur la grand place, les couleurs chaudes de l’Espagne s’estompent soudainement, le gris reprends le dessus avec naturel. Tout y est : cabines téléphoniques, boites aux lettres, couleurs du mobilier urbain, agents en uniforme. Nombreux sont ceux qui parlent espagnol, mais l’accent anglais est bien présent, et l’on découvre avec un peu d’étonnement le seul créole parlé en Europe, le « spanglish ».

La visite vaut bien sûr le coup, et notamment la ballade au sommet du rocher, a pieds ou dans le touristique petit téléphérique. La vue a 360° nous fait découvrir parfaitement le relief de l’Afrique, le trafic maritime de Gibraltar et les villes Espagnoles voisines. Stunning, dear !

La Linea de la Conception

La Linea, c’est la ville espagnole qui a grandi dans la périphérie de Gibraltar, à 10 minutes à pieds. Ici, la vie est un peu moins rose que chez le voisin, car la concurrence sponsorisée par la détaxe n’améliore pas la situation pour cette région d’Espagne ou le taux de chômage est le plus élevé (35%). Mais la vie y est très agréable, et le centre coloré et joyeux. C’est une ville moderne qui n’a pas beaucoup d’autre intérêt que de proposer aux touristes des hôtels abordables et quelques plages, et aux marins un port très agréable et spacieux, mais la vie y est douce. Nous y sommes pour préparer notre traversée vers les Canaries, vérifier et réparer l’alternateur, et pour récupérer notre Gennaker commandé en France chez Ulmo.

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La Linea vue depuis le rocher de Gibraltar, Algeciras en arrière plan à gauche.

C’est aussi la première fois que l’on sent la douce brise du grand voyage. Ici, les bateaux-stoppeurs et équipiers volontaires arpentent les pontons à la recherche d’un bateau qui les embarquera vers le sud. Ça discute voyage, météo, expérience, dans toutes les langues. Il y a des bouquins en libre échange dans la laverie, et de l’ambiance au petit bar de la marina.

Traversée vers les Canaries

Après ces préparatifs, nous appareillons le 14 novembre en compagnie d’un petit monocoque skippé par un français et avec qui nous avons discuté météo. Nous en observons deux autres aux jumelles, qui longent le rail du détroit en même temps. La sortie se fait contre le courant si la marée n’est pas favorable, donc rien de surprenant à ce que nous partions groupés en ce début d’après-midi.

La soirée est superbe, nous sommes accompagnés par une douzaine de dauphins qui sautent à l’étrave. J’aperçois une grande et belle tortue de mer. Une subtile poésie se dégage des monstres d’aciers qui ronronnent sur l’horizon en brûlant leurs hectolitres de brut baigné du soleil couchant.

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Nous longeons la côte Nord, et au début de la nuit, nous partons vers le sud en traversant la zone de séparation du trafic. Il y a du passage, mais avec l’AIS, nous repérons biens les cargos. Le bateau marche bien au portant, nous avons laissé les autres un peu derrière, nous ne voyons plus leurs lumières.

Pour les quarts de nuit, il y en a un en veille pendant que l’autre dort deux heures, puis l’on change. C’est un rythme supportable bien qu’un peu fatiguant à la longue, surtout quand les conditions évoluent et qu’il faut se réveiller pour faire une manœuvre à deux. Se rendormir n’est alors pas toujours si facile car le bateau avance vite, poussé par un vent qui oscille entre 15 et 30 nœuds. Le bateau part en surfs sur la longue houle de l’atlantique qui atteints les 4 mètres et les vibrations font rugir les coques.

Nous avons deux nuits agréables à ce rythme rapide. C’est un plaisir formidable de barrer le bateau quand il surfe sur cette mer argentée par la pleine lune.

Les deux jours suivants seront plus durs, car une seconde houle arrive d’une autre direction, et croise les vagues. La surface de la mer devient un chaotique, les vagues cognent le bateau par le travers et sous le carré, c’est usant pour les nerfs et vraiment inconfortable. C’est parait-il un peu typique de la mer des Canaries. On partage un peu nos impressions avec une grosse vedette à moteur repérée sur l’AIS : eux ont des stabilisateurs en panne, et ne peuvent pas progresser plus vite que nous. Silviya discute avec les compatriotes du cargo Bulgaria, qui nous donne la météo pour la fin du parcours. Les derniers milles se font avec un vent qui a beaucoup faibli, tout doucement dans cette mer désordonnée, nous sommes contents d’arriver.

Nous arrivons après 3 jours et 21h de mer au bout des 608 milles de cette traversée, bien plus tôt que ce que nous avions prévu. C’est la plus longue que j’ai effectuée pour le moment, et un bon entrainement pour la transat.

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Nous mouillons à l’île de Graciosa, à la Playa Francesca (la plage des français). Nous sommes accueillis avec honneurs par la corne de brume de Martin et Ralph sur Maravillha, qui nous font le plaisir d’un dîner d’arrivée.

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La Plaja Francesca vue d’en haut, Tamouré au mouillage.

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